La veille de mon départ pour Dunkerque, j’apprends en regardant les infos du soir à la télévision qu’un accident ferroviaire s’est produit sur la ligne Paris-Toulouse au sud de Limoges. Une remorque avec son chargement de foin est tombée sur la voie. Deux wagons et la locomotive ont déraillé. Il y a des blessés, dont certains dans un état grave. Le lendemain matin je dois emprunter cette ligne pour rejoindre Dunkerque. Un doute s’est installé. Je me demandais si le trafic serait maintenu. Etant de tout cœur avec les personnes touchées de près ou de loin cette catastrophe, j’envisageais déjà les démarches à accomplir pour annuler ou reporter la diagonale : informer Marc et Annette, les délégués fédéraux, repousser ou annuler les réservations dans les hôtels, remboursement des billets de train, etc. Le matin je prends connaissance de l’évolution de cet accident. Il y a toujours une personne dans un état très grave. Le trafic dans le sens Toulouse-Paris est maintenu, mais dans l’autre sens il est fortement conseillé de déplacer le départ. Arrivé en gare de Cahors, le train est bien annoncé mais avec ½ heure de retard, puis 01h00. Patience donc. Nous partons enfin, mon vélo et moi. Les passagers sont calmes et comprennent bien la situation. Les contrôleurs nous informent le plus possible. Suite à un incident survenu après Orléans, une plaque métallique est tombée d’un train de marchandises sur la voie, nous nous arrêtons un bon moment. C’est avec 01h30 de retard que j’arrive à Paris. J’enfourche alors mon vélo pour rejoindre la gare du Nord. Je pensais pouvoir attraper la 3ème correspondance. Malheureusement, arrivé sur le quai, le TGV s’éloigne. Trop tard. Je m’adresse au chef d’escale qui, après recherches, m’indique le train suivant mais avec changement à Lille. Il n’y a pas de compartiment vélos mais exceptionnellement je suis autorisé à le déposer dans la voiture-bar. J’ai pu ainsi découvrir les deux gares de Lille, Lille-Flandres et Lille-Europe (départ des Eurostars). Finalement après ce long voyage, un peu mouvementé, je débarque à Dunkerque à 19h30. Dimanche 5 juillet 2009, sous un ciel couvert, je me rends au commissariat, non loin de l’hôtel des gens de mer où je logeais. Lorsque je pousse la porte, le fonctionnaire de police, certainement fatigué par la nuit a la tête qui dodeline et le bruit de mes pas lui fait ouvrir les yeux. Lorsqu’il se lève c’est un grand gaillard que je trouve en face de moi. Il comprend très vite la raison de ma présence. Il a dû en voir des diagonalistes. Il me prend le carnet de route pour aller apposer le cachet et l’heure de départ. Il entame la conversation, me parle de Cahors, et surtout de son vin qu’il apprécie, qu’ici on parle le flamand et non le ch’timi. Je lui demande l’itinéraire pour sortir de Dunkerque. Quand je m’élance, à 07h02, il me souhaite bonne route. Pourtant cela commence mal. Je ne voulais pas emprunter la D916 qui relie Dunkerque à Bergues mais la D72, plus tranquille, et que je connaissais pour l’avoir prise deux autres fois. Je ne sais pas comment j’ai fait mais je me suis retrouvé sur la D916. Je décide de poursuivre quand même. Après tout c’est dimanche et il n’y a pas de circulation. De plus j’arrive à Bergues côté gare, justement là où je dois trouver la boîte à lettres pour poster ma carte de départ. Arrivé devant la gare, point de boîte à lettres. Je tourne à gauche pour aller en centre ville au bureau de poste où je dépose la carte. En repassant devant la gare, sur mon itinéraire, je jette un coup d’œil à droite et je l’aperçois la petite boîte jaune accrochée au mur, mais sur le côté. Ils auraient pu la mettre devant, non ? A la sortie de la ville, venant de la porte de Cassel, un groupe de cyclistes me dépasse, puis un autre, et encore un autre. Il s’agit des participants au rallye des 9 monts organisé par Dunkerque cyclo. Il y avait, ai-je lu, 940 inscrits. Quelques hectomètres plus loin nos routes bifurquent et je m’engage plein sud. Le vent s’est levé et il est assez favorable. Dans ces longues lignes droites, de part et d’autre, des exploitations agricoles gagnées autrefois sur la forêt et les marais. L’arrivée sur Cassel, dont j’aperçois le mont depuis un moment, me pose quelques soucis. Je cherche la petite route que je pensais trouver en le contournant. Mais finalement je dois me résoudre à le monter, certes pas par le côté difficile, mais par une route pavée d’environ 1km. Des pavés comme çà, aux jointures larges et qui vous secouent les tripes. Cela fait du bien quand cela s’arrête. Un cycliste effectuant la « 9 monts » tranquillement, me dit-il, m’indique le chemin à suivre et je redescends de l’autre côté au milieu d’un autre peloton qui semble indifférent à ma monture et à mes sacoches. Depuis mon départ, le relief est plat, mais en entrant dans l’Artois il est plus vallonné. Le rythme ne faiblit pas. Je traverse des villages aux maisons typiques flamandes de brique et de pierre. C’est ainsi que j’arrive à mon premier contrôle dans le village de Magnicourt-en-Comté (62). A la recherche d’un commerce pour faire apposer le tampon indispensable, je ne trouve rien d’ouvert. Il est vrai que nous sommes dimanche et ce sera ainsi toute la journée. Par chance je m’adresse à un autochtone. Il se trouve être le mari de la doctoresse du village qui n’est pas là car elle est partie à la recherche de son chien qui a fugué. A l’intérieur de la maison point de tampon. De l’autre côté de la route, son voisin, un homme âgé, est occupé à rentrer du bois. Il lui demande si par hasard il avait un tampon. A notre grande surprise, il répond oui. Et tranquillement il rentre dans sa maison, en ressort, tout fier, avec le nécessaire. Appuyant le carnet de route sur une surface plane il appose son tampon. Il s’interroge avec son voisin sur l’objet de ma randonnée. Je leur donne quelques explications. Pendant ce temps la doctoresse passe et repasse devant son domicile toujours à la recherche de son chien, demandant à son mari s’il était revenu. Il paraissait moins inquiet qu’elle mais bien plus intéressé par mon périple. Il m’a même offert une boisson. Je les remercie tous les deux et je repars. En traversant le département de la Somme je découvre quelques cimetières militaires traces de la guerre de 14-18. Je passe devant le mémorial de Beaumont-Hamel érigé en l'honneur de tous ces hommes tombés lors de la bataille de la Somme. Les routes que j’emprunte sont vraiment tranquilles et la navigation doit être précise afin de ne pas s’écarter de l’itinéraire. Les villages sont rapprochés, le temps passé paraît moins long ainsi. Parfois les directions indiquées ne correspondent pas à celles que j’ai mentionnées. Alors je prends la copie de la carte routière pour bien me diriger. Il arrive aussi que quelqu’un vienne à mon secours spontanément. Ainsi, Marino que j’ai rencontré à Albert (62), m’a indiqué ma route. Marino aime discuter avec les gens. Il a beaucoup voyagé. Il est portugais d’origine. Il parle plusieurs langues car il a travaillé dans la restauration. Il connaît Cahors et m’a dit qu’il viendrait me voir. Salut Marino, j’ai encore de la route à faire et merci. Décidément en ce dimanche après-midi, il n’est pas facile de se désaltérer. Les bistrots sont fermés, même à Rosières-en-Santerre dans ce bourg picard de plus de 3000 âmes où je dois effectuer un nouveau contrôle. Finalement c’est une carte postale que j’enverrai depuis le bureau de poste. Un couple d’habitants qui rentrait d’une promenade à vélo m’a offert gentiment de l’eau fraîche pour remplir mes bidons. Cela n’entame pas ma marche en avant. Malgré le relief bosselé je respecte l’horaire prévu, et de montées en descentes, de la traversée de la forêt de Retz, j’arrive à Villers-Cotterêts (02), terme de mon étape, à 19h50. J’ai parcouru 255km pour une dénivelée de 1700m. L’hôtel-restaurant du Parc est fermé le dimanche mais heureusement j’ai le code pour y entrer. Impossible de trouver un restaurant ouvert. Je me rabats sur une épicerie alimentation aux spécialités portugaises. Les propriétaires des lieux me proposent un plat à réchauffer, à base de morue. J’accepte et finalement ce plat consistant m'a rassasié. Quelques gâteaux et une banane tirés du sac complétèrent le repas. Lundi 6 juillet 2009 je repars à 03h45. Toujours dans la forêt de Retz je gagne la Ferté-Milon au sud-est de l’Aisne. Quand le jour se lève, le vent se remet à souffler mais dans le sens contraire et assez fortement. Il contrarie vraiment ma progression sur ces routes avec toujours du relief et les quelques lignes droites en faux-plat demandent de la persévérance pour arriver au bout. Dans cette Brie, aux cultures céréalières, que je traverse je découvre quelques puits de pétrole près de Donnemarie-Dontilly (77). Certes ce ne sont pas de grands champs pétrolifères mais ils existent bien. Malgré quelques gouttes de pluie à la sortie de la ville je poursuis ma route pour redescendre dans la vallée de la Seine à Châtenay-sur-Seine. Toujours par des routes paisibles je traverse le gâtinais et le vent ne faiblit pas et quelques rafales freinent ma progression dans ce paysage où clairières et forêts se côtoient. Je traverse l’Aveyron à la Chapelle-sur-Aveyron. Drôle de coïncidence avec le département de mon sud-ouest qui porte le même nom. Il s’agit ici d’une rivière affluent du Loing. Et à quelques kilomètres de là à Châtillon-Coligny (45), j’effectue un contrôle dans un bar au joli nom de « L’amusette » dont, autre coïncidence, le propriétaire est originaire de Villeneuve-sur-Lot (47), à 70km de Cahors. Installé depuis de nombreuses années il n’a pas perdu son accent méridional. |
Je passe au pied de Sancerre et de son vignoble et sur l’autre rive, celui de Pouilly-sur-Loire. J’atteins ainsi La Charité-sur-Loire à 20h05 après avoir parcouru 294km pour une dénivelée de 1850m. Le bon accueil, le cadre agréable, la bonne table de l’hôtel-restaurant « Le Bon laboureur » me réconfortent énormément. C’est bon pour le moral car demain est une journée qui sera rude. Mardi 7 juillet 2009 à 02h50 je quitte cet hôtel après avoir pris un petit-déjeuner plateau copieux. J’ai une petite appréhension car la traversée du massif central se profile. Il n’y a pas de pluie malgré un ciel nuageux. Le vent est toujours là, défavorable. Je pédale, je pédale et je sens un peu de sommeil arriver. Je plonge la main dans ma sacoche avant pour en tirer un sandwich préparé la veille par le restaurateur. Il s’agit d’un sandwich au pâté de lapin. Quand je mords dedans mes dents tombent sur un cornichon et à cette heure-là cela surprend mais je finis par tout ingurgiter. Aux environs de 05h00 j’ai un petit coup de barre, mes yeux ont tendance à se fermer. Je trouve sur la place d’un village un abri avec un banc. Je m’arrête et m’y allonge 10mn après avoir mis l’alarme du réveil. Ce petit temps de repos m’a fait du bien car j’ai un meilleur coup de pédale après. Je pense donc avoir gagné du temps plutôt que de vouloir résister au sommeil et risquer une chute. Je ne longe plus la Loire mais l’Allier et la route vers Moulins est identique à celle de la fin de l’après-midi d’hier. A partir de là je m’élance sur la N9 dont la densité du trafic contraste avec la tranquillité des routes des jours précédents. Pendant plus de 60km, jusqu’à Aigueperses la circulation est soutenue. J’ai hâte de sortir de là mais le vent contraire et un peu de pluie, ne faciliteront pas ma tâche. En entrant en Auvergne, aux portes de Clermont-Ferrand, un patron de bar m’a dit « ici on monte 5km et on redescend 3km ». Je suis donc averti. Jusqu’à Issoire tout est vrai, et en plus il m’est arrivé de monter dans le village, tout en haut, sans pour autant que cela soit nécessaire mais parce que j’avais manqué la route qui passait tout en bas du village. Quand on aime on ne compte pas. Et la pente était raide. Après Issoire, je me dirige vers St-Germain-Lembron pour gagner les gorges de l’Allagnon. Cette vallée est tranquille, un faut-plat légèrement montant avec un vent plutôt favorable. Jusqu’à Massiac c’est agréable. A la sortie de cette ville j’emprunte l’ancienne N9 en bordure de l’autoroute A75. Cela monte pendant 21km jusqu’au col de la Fageole situé à 1114m. Les pourcentages ne sont peut-être pas élevés mais après 260km et un vent contraire qui ne faiblit pas et où rien ne l’arrête, l’homme arc-bouté sur sa machine déploie beaucoup plus de force pour la faire avancer. D’ailleurs il dépense tellement d’énergie qu’il en oublie de s’alimenter, tellement bien qu’un coup de fringale lui coupe les jambes. Après avoir avalé quelques barres le moteur repart. Au sommet du col, le vent frais me saisit. J’en profite pour me vêtir et pour téléphoner à l’hôtel de l’Europe à St-Flour (15) afin de les informer d’un retard de ½ heure sur mon horaire prévu. Je suis surpris de m’entendre dire qu’il n’y a pas de réservation à mon nom. Pourtant je l’ai bien fait voilà près de trois mois. Heureusement il y a des chambres libres et tout rentre dans l’ordre. Autre surprise l’établissement se trouve en haut de la ville et j’arrive par la ville basse. Une bonne côte de 1km à avaler. J’arrive au terme de cette étape après avoir parcouru 304km pour une dénivelée de 2680m. Mercredi 8 juillet 2009 à 03h30 je quitte l’hôtel. Je redescends dans la ville basse pour aller chercher la D909 (ex N9). La température est fraîche, le ciel peu nuageux et il fait clair de lune. Je suis vite dans la montée. J’approche du viaduc de Garabit que je distingue bien par cette nuit claire. C’est un ouvrage d’art impressionnant et imposant. Je passe et repasse sous les arches et cela monte ferme. Depuis St-Flour, la route que j’emprunte flirte avec l’autoroute A75. Pendant près de 60km il en sera ainsi. Je me sens moins seul car le trafic, même à cette heure matinale, y est assez dense. Le vent, toujours là, m’accompagne encore mais toujours pas dans le bon sens. Au col des Issartets (1121m), je bascule enfin. Une belle descente de 11km me conduit à Marvejols. Un peu à l’abri du vent et avec le soleil qui me réchauffe, je me dirige vers La Canourgue où j’effectue un nouveau contrôle et un ravitaillement. |